COMMENT LES JEUNES VOIENT LEUR AVENIR

Publié le par CGT Ugict-CGT Nice AIR FRANCE

 
Enquête mondiale
 LEXPRESS.fr Axel Gyldén  , Cécile Casciano



Comment vont les jeunes?
Que pensent-ils de l'avenir?
De la société?
De la mondialisation?
Bref, quel est leur état d'esprit?
A l'occasion du 40e anniversaire de 1968, L'Express propose une radioscopie de la jeunesse mondiale, en partenariat avec la Fondation pour l'innovation politique, qui publie cette semaine une vaste enquête intitulée
«Les jeunesses face à leur avenir».
Celle-ci s'appuie sur un sondage mené en Europe, en Asie et en Amérique du Nord auprès de 20 000 personnes au total. Résultat?
Les Américains ont une pêche d'enfer.
Les Scandinaves aussi.
Et la jeunesse française est... la plus déprimée du monde.
Elle redoute l'avenir, la mondialisation et même son ombre. Alerte au péril jeune!
ue reste-t-il de Mai 68?
A coup sûr, cette question sera le leitmotiv de l'année 2008.
Sans attendre le 40e anniversaire des barricades du Quartier latin, L'Express est en mesure d'y répondre par quatre lettres: rien.
Telle est, en substance, la conclusion de l'étude comparative de la Fondation pour l'innovation politique, réalisée auprès de 20 000 jeunes en Europe, aux Etats-Unis, en Chine, en Inde, en Russie, à Taïwan et au Japon (interrogés par l'institut de sondages Kairos Future).
Son objectif: tenter de mesurer la perception que les 16-29 ans ont de l'avenir, leur état d'esprit face à la mondialisation, leur attitude vis-à-vis du travail, de l'argent, de la famille, des institutions, ou encore des générations qui les précèdent.
Ce passage au scanner du «cerveau jeune» nous révèle notamment qu'au sein de cette classe d'âge les Français sont les plus pessimistes de la planète. Ils craignent pour leur avenir et celui de la société.
Redoutent la mondialisation plus que tous les autres.
Se disent persuadés de ne pas obtenir un bon travail dans les années qui viennent.
Ils sont également timorés, et se croient incapables de faire bouger la société.
Un conformisme de mauvais augure dans un monde globalisé où la capacité d'adaptation, l'aptitude à l'innovation, l'esprit d'initiative sont les clefs de la survie.
Etbissem et Najoua, 22 et 23 ans, françaises, étudiantes en langues : « Un nom à consonance étrangère sur un CV, ça aide pas. »
«Leur niveau de fatalisme est impressionnant, observe, quelque peu déconcertée, Anna Stellinger, directrice de recherche à la Fondation pour l'innovation politique, et initiatrice de l'enquête.
Cela transparaît dans tous les classements.
Seulement un quart des jeunes Français voient l'avenir en rose, alors que, par exemple, plus de la moitié des Scandinaves jugent celui-ci prometteur.»
Il suffit d'écouter Sophie, 22 ans, étudiante en droit à l'université de la rue d'Assas, à Paris, pour mesurer l'étendue du problème: «Je n'ai pas vraiment l'impression que l'on va vers le haut.
Il y a trop de choses à changer: les problèmes de pollution, de chômage, de racisme, etc. L'égalité des chances, c'est juste un slogan, rien de concret.»

Les jeunes Français valorisent peu l'indépendance
«Soyons réalistes, demandons l'impossible!» clamaient en 1968 les étudiants du haut des barricades. Mais c'était la préhistoire.
Aujourd'hui, le conformisme est de mise: 1 jeune Français sur 4 juge «important de ne pas se faire remarquer dans la vie», tandis que 1 sur 2 - 54%, record mondial! - estime que «le regard des autres est déterminant» dans ses choix professionnels.
Plus sidérant encore, cette donnée relevée par le sociologue (1) François de Singly, professeur à l'université Paris-Descartes:
«Parmi tous les pays étudiés, seuls les jeunes Français considèrent que l'obéissance est une valeur plus importante à transmettre à leurs enfants que l'indépendance.»
Où l'on voit que le climat social n'a rien de pré-insurrectionnel.
Ce que confirme d'ailleurs Marjorie, 24 ans, une étudiante en sociologie qui prévoit de quitter la France:
«La société civile est en train de s'éteindre; les gens sont désabusés et passifs.
Ils l'ouvrent moins quand ils sont mécontents.»
Le blues des jeunes Français - si l'on met à part celui des Italiens et des Polonais - est sans équivalent en Europe et dans le monde.
Certes, les grands pays de la «vieille Europe» comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne ne brillent pas, eux non plus, par l'optimisme débridé de leurs jeunesses respectives.
Mais ni outre-Rhin ni outre-Manche le moral des 16-29 ans n'est si profondément atteint.
C'est grave, docteur?
Oui, si l'on compare avec la Scandinavie, où les jeunes, visiblement à l'aise dans leurs sabots, affichent une insolente confiance en eux.
L'explication?
La bonne santé économique et un faible chômage, bien sûr.
Mais surtout une véritable prise en compte de la jeunesse, représentée politiquement et partie prenante du débat public, sur un pied d'égalité avec les quadras, les quinquas et les sexagénaires.

Ceci explique cela: médaillés d'or de l'optimisme, les Danois sont 60% à être convaincus que «leur avenir est prometteur».
Marjorie, 24 ans, française, étudiante en sociologie : « Les gens sont désabusés. »
Outre-Atlantique, les jeunes Américains affichent également un moral de vainqueur.
Tout se passe comme si ni le 11 septembre ni l'enlisement en Irak n'avaient eu le moindre impact sur le légendaire optimisme yankee.
It's a wonderful world...
Là-bas, 60% des jeunes, contre 27% des Français du même âge, sont persuadés qu'ils auront un bon job dans l'avenir.
Et 63% estiment que les gens peuvent changer la société, contre 39% en France.
Le rêve américain fait encore recette.
Chez nous, les orientations scolaires semblent irréversibles
De l'autre côté du globe, les jeunesses de Russie, de Chine et d'Inde ont, quant à elles, le moral «boosté» par les taux de croissance de leurs économies émergentes.
«Les jeunes Français redoutent le déclassement et savent que leurs revenus risquent d'être inférieurs à ceux de leurs parents, constate le sociologue Vincenzo Cicchelli, de l'université Paris-Descartes.
Les Indiens, les Chinois et les Russes entrevoient, au contraire, la possibilité de grimper dans l'ascenseur social.
Pour eux, les Trente Glorieuses commencent.
On assiste à la naissance d'une génération "bling-bling" pour laquelle l'argent, la célébrité et les biens matériels sont valorisés.
Dans nos sociétés occidentales "postmatérialistes", les jeunes prennent davantage en compte la valeur symbolique d'un métier, le prestige d'une profession, le temps libre.»

En France, le chômage élevé des jeunes est la cause principale du malaise ambiant.
Mais les ratés du système scolaire sont aussi pointés du doigt.
«Actuellement, 1 élève sur 5 arrête sa scolarité avec, au mieux, le brevet des collèges en poche!, accuse Olivier Galland, directeur de recherche au CNRS.
Ceux qui se lancent ensuite dans le labyrinthe des filières professionnelles - il existe 265 BEP ou CAP en tout! - doivent passer sous les fourches Caudines de conseillers d'orientation déconnectés de la réalité du marché de l'emploi.
Ajoutez à cela que 1 étudiant sur 4 entame des études supérieures sans jamais obtenir son diplôme, et vous avez tous les ingrédients d'un cocktail ravageur.
Car commencer sa vie par un échec produit des effets dramatiques sur le plan de l'estime de soi.»
Au fait, pourquoi ces questions cruciales ont-elles été éludées pendant la campagne présidentielle 2007?
Autre spécificité française: la culture, voire l'obsession, du classement. Elle joue, elle aussi, un rôle néfaste.
«Contrairement à ceux des pays anglo-saxons, les étudiants français sont davantage préoccupés par leur classement que par le contenu réel des programmes, poursuit Galland.
L'école sert non à former, mais à classer et hiérarchiser les gens, c'est-à-dire à produire de l'anxiété.
Pis, le niveau d'études est exactement prédictif de la position que l'on occupera dans la société.»
Autrement dit, le diplôme représente un titre de noblesse valable tout au long d'une vie.
Ce qui induit un manque de mobilité sociale et crée les conditions d'une société figée où les self-made-men font figure d'ovnis.
«Les Français se réorientent peu, complète Emmanuel Sulzer, spécialiste du travail des jeunes au Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq).
Ils considèrent les orientations scolaires, le choix d'études supérieures et celui de leur métier comme des étapes irréversibles.
Ils voient l'existence comme un couloir sans porte de sortie sur les côtés.»
Un vrai scénario de film d'angoisse! Que connaît trop bien Nils, un imprimeur de 28 ans:
«J'aurais adoré être ingénieur du son. Mais, quand on possède un diplôme dans une branche, on est bloqué.
Pour changer de voie, il faut financer des formations coûteuses.
Seule une minorité de gens peut se les offrir.»
Les ministères de la Jeunesse sont plus puissants ailleurs
Plus généralement, la France manque d'une politique lisible.
D'ailleurs, l'intitulé du ministère «de la Jeunesse et des Sports» - un tantinet connoté «années 1940» - témoigne à lui seul de la confusion des esprits.
«Dans les pays nordiques, les ministères de la Jeunesse sont puissants et bien organisés, souligne Patricia Loncle, de l'Ecole des hautes études en santé publique.
Ils mènent des politiques cohérentes, très construites.
En France, en revanche, il est difficile de savoir qui fait quoi et avec quels objectifs.
Les jeunes relèvent simultanément du ministère des Affaires sociales, de celui des Finances ou encore de celui de la Santé.
Avec, en toile de fond, le désengagement progressif de l'Etat, qui passe de plus en plus souvent la patate chaude aux collectivités locales.»
Nils, 28 ans, français, imprimeur : « Se réorienter, c'est presque impossible. »
Reste la question qui fait mal: les jeunes ne seraient-ils pas tout simplement vieux?
«Non, ils sont juste clairvoyants, plaide Patricia Loncle.
Ils savent ce qui les attend: des diplômes dévalorisés qui ne prémunissent pas contre le chômage, un niveau de vie en baisse, de la précarité à tous les étages.»
A leurs yeux, le monde légué par la «génération 1968» n'a rien de réjouissant.
Ce n'est pas un hasard si la jeunesse française est la moins encline à payer des impôts pour les gens âgés: seulement 11% d'entre eux financeraient volontiers la retraite des soixante-huitards.
La vengeance est un plat qui se mange froid.
(1) Tous les experts cités dans cet article ont contribué à l'analyse des résultats de l'enquête menée par la Fondation pour l'innovation politique.

Publié dans A LA UNE

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